Arlésiennes et gardians, un “couple indissoluble”? Retour sur la fête des Gardians 2018

La fête des gardians se tient tous les premiers mai, à Arles. Les membres de l’Antique Confrérie des Gardians de Saint Georges se retrouvent chaque année dans les rues de la ville, offrant aux visiteurs une démonstration de leurs traditions et savoir-faire. Mais, du haut de leurs chevaux de Camargue, ils ne sont pas seuls: les arlésiennes ne sont jamais bien loin.

Ce mardi 1er mai 2018, c’est par une – très- froide matinée pluvieuse qu’une centaine de chevaux sont rassemblés dès 9 heures, sur le grand boulevard des Lices, à Arles. Déjà en selle, gardians et arlésiennes patientent, stoïques malgré la pluie, jusqu’au coup d’envoi, qui arrivera finalement 40 minutes plus tard. C’est le moment du défilé: sous le regard des passants, tous et toutes offrent le spectacle de leurs costumes, et de l’extrême docilité de leurs chevaux.

L’attente sur le Boulevard des Lices
La pluie n’aura pas raison des Arlésiennes

Prêt de chapeau et déférence

Pourtant le problème est grave, pour nos belles costumées: comment protéger les précieuses étoffes des intempéries? Si certaines optent pour la solution du parapluie (comme ci-dessus, faisant parfois entorse aux exigences de l’histoire), d’autre empruntent à leur cavalier, complaisant, leur chapeau.

Sauver la coiffe grâce à un chapeau

C’est sur cette relation particulière entre le gardian et son arlésienne, qu’il porte en croupe, que j’aimerai revenir ici. En effet, on attend de lui prévenance, diligence et déférence: le prêt du couvre-chef, incontournable de la tenue du gardian, n’est qu’une entrée en matière. Plus tard dans la journée, au cours des jeux qui se tiennent dans les arènes de la ville, elles auront droit à de multiples attentions, dûment soulignées par le commentateur de l’évènement. Car, nous dit-il au micro, si le “couple arlésienne-gardian est indissoluble”, c’est que l’agilité, la force et le savoir-faire des uns est soulignée par la “présence, [la] beauté et [le] sourire” des autres. Il faut donc, pour les approcher, descendre de cheval, ôter son chapeau, et, saisissant sa main droite avec sa main gauche, la raccompagner jusqu’à sa destination.

Arlésiennes raccompagnées par les cavaliers

La Reine d’Arles, une arlésienne bien particulière

Il est une arlésienne pour qui ces attentions sont d’autant plus importantes: la Reine. Élue tous les trois ans, pendant cette même fête, elle est ici en croupe du Capitaine de la Confrérie des gardians, mis à l’honneur en ce jour. Elle est choisie pour ses connaissances de la langue provençale, de la culture et du costume, ainsi que pour sa prestance: il s’agit de l’ ambassadrice des traditions de la région, dont les gardians font pleinement partie.

Naïs, XXIIIe Reine d’Arles

A son encontre donc, des attitudes définies par le protocole: tous la saluent à la fin des jeux, les marques de respects se multiplient, et,  son arrivée est marquée par la levée des tridents, grandes perches de bois emblématiques des gardians.

Costume et interactions

Les arlésiennes jouissent donc d’un statut spécifique, statut qui nécessite le déploiement de tout un décorum, connu et respecté par tous et par toutes. Les différences entre les genres ne s’expriment pas seulement par le port d’un vêtement précis, mais aussi par des attitudes, des gestes, des rôles prédéfinis et dans les modes d’interaction. Mais ce statut de l’arlésienne ne peut se lire qu’en contrepoint de son “homologue” costumé, le gardian, et dans la manière dont l’un et l’autre se présentent, agissent l’un envers l’autre, et, finalement, se complètent.

Arlésienne, une vocation à plein temps

Lorsqu’on les voit, tout semble simple. Elles sont belles, les costumes sont ajustés, les coiffes soignées. Pourtant, les sourires et les visages radieux cachent de longues heures de réflexion, de confection et de préparation: on est Arlésienne toute l’année, et pas simplement le temps d’un défilé.

Alors, que fait une Arlésienne l’hiver, lorsque son costume est au placard? La réponse est simple: elle prépare les suivants. Et cela passe par les incontournables vide-commodes, spécialement dédiés, où la parfaite Arlèse peut chiner, rencontrer ses consœurs, découvrir de nouvelles pièces, trouver de nouvelles inspirations.

Le vide-commode de Fontvieille

En ce dimanche 11 mars se tenait, par exemple, le vide-commode de Fontvieille, organisé par le Lions Club Paradou les Alpilles. Les allées de la salle polyvalente, où se tient l’évènement, sont bien remplies: les exposants et exposantes se succèdent, et le public est au rendez-vous.

Une mère cherche quelle dentelle ornera au mieux le fichu qu’elle réalise pour sa fille, qui l’accompagne: elle est conseillée par une vendeuse avisée. Plus loin, des amies discutent autour des costumes mis en vente: elles aussi aimeraient défiler, mais craignent de faire un faux pas. Il faut dire que, même si l’on se costume avant tout par passion et par plaisir, il faut respecter la tradition, et à la lettre. Au détour d’une allée, on peut voir une dentellière en bonne compagnie: elle enseigne à deux jeunes Mireilles, très appliquées, l’art de manier les fuseaux.

Sur l’estrade, au fond de la salle, des costumes sont installés sur des mannequins, et, le temps d’une présentation, nous pouvons découvrir l’évolution chronologique du costume d’Arles. Les messieurs ne sont pas en reste, et sont bien représentés: deux d’entre eux portent des costumes d’époque, accompagnant sur scène les Arlésiennes.

Des traditions qui passionnent

Les vide-commodes sont pléthore, en Provence, pour patienter jusqu’à la belle-saison: le week-end dernier, Paluds de Noves avait le sien, et la semaine prochaine, se sera au tour des Saintes Maries de la Mer. Et puis, il y a les groupes et associations, autour du costume: sièges privilégiés de la transmission, on y apprend les subtilités du costume, de sa confection, de la coiffure.

“Tant qu’auren lou riban e la capello, lis Arlatenco saren li pu bello”, disait Frédéric Mistral. Et si l’adage est toujours vrai, c’est que l’attention est constante, et que le travail de recherche est minutieux. Car le costume colle à la peau des Arlésiennes, et ne s’ôte jamais réellement pour de bon.

 

Carnet d’Arlèse

Il s’agit ici de rendre compte de mes recherches, menées en Anthropologie dans le cadre de mon travail de thèse. Je m’intéresse  au costume féminin d’Arles, en l’abordant non pas comme un objet folklorique, mais comme étant totalement pris dans la modernité. Le costume est, en effet, bien vivant, porté régulièrement en Provence par des femmes de tout âge, passionnées et particulièrement actives.

En partant du costume, mais aussi de l’art de le réaliser, de s’habiller, et de défiler, je m’intéresse à la posture, la démarche, mais aussi plus largement aux différentes manière de se mettre en scène, de se représenter : la gestuelle , la voix, le choix du langage, les usages de la parole me paraissent être des objets éminemment révélateurs.

L’univers du costume, de son élaboration jusqu’au moment du défilé, est dans sa grande majorité féminin: la question de l’élaboration de normes de genre est ici centrale. En quoi l’Arlésienne est une femme particulière? Que dit-elle des femmes en général? Comment, collectivement, les Arlésiennes mettent-elles en place un système de normes, de valeurs, de codes précis, liant ainsi étroitement vêtement, et représentation du féminin?

Ce carnet permet de faire état de l’avancée de ma recherche, de mes aventures sur place, et de donner à voir mes résultats aux acteurs, et surtout actrices du monde du costume, rencontré-e-s au cours de mes terrains.

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